En dépit du temps – Mehdi Messaoudi
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Auteur atypique, Mehdi Messaoudi invite cette fois-ci le lecteur à s’introduire dans l’enfance douce-amère de Abdelhadib. À travers un récit particulièrement authentique, à fleur de l’intime, des fragments de vie de l’enfant et de sa famille sont relatés ici avec sincérité et sensibilité., parfois mélancoliques, parfois avec humour. L’auteur convoque le passé, non pas pour le juger, mais pour continuer à sourire. « Ma tranquillité n’a jamais cessé d’être taquinée. Et malgré ces diverses nuisances endurées… jamais je ne sus perdre mon sourire », écrit-il dans la nouvelle La chambrette.
Les passages des nouvelles sur son premier amour d’enfant, ses grands-parents qu’il adorait, son chat gris qu’il voulait sauver, ses cousins qu’il disputait, son citronnier qu’il vénérait, ses copains de classe qu’il n’a jamais oubliés, et même le terrifiant chien Rex qu’il défiait, sont singulièrement touchants.
Résumé :
« Je demeurerai intimement convaincu que mon passé ne pourrait aisément s’éteindre, puisque dans mon cœur vous survivrez à jamais. Aussi durablement que j’existe et dès l’instant où vos visages d’enfants resteront inaltérables dans mes pensées, en dépit de la force du temps, qui sans répit efface les plus infimes détails. » M.Messaoudi
En dépit du temps, onze nouvelles, onze moments.
Auteur atypique, Mehdi Messaoudi invite cette fois-ci le lecteur à s’introduire dans l’enfance douce-amère de Abdelhadib. À travers un récit particulièrement authentique, à fleur de l’intime, des fragments de vie de l’enfant et de sa famille sont relatés ici avec sincérité et sensibilité., parfois mélancoliques, parfois avec humour. L’auteur convoque le passé, non pas pour le juger, mais pour continuer à sourire. « Ma tranquillité n’a jamais cessé d’être taquinée. Et malgré ces diverses nuisances endurées… jamais je ne sus perdre mon sourire », écrit-il dans la nouvelle La chambrette.
Les passages des nouvelles sur son premier amour d’enfant, ses grands-parents qu’il adorait, son chat gris qu’il voulait sauver, ses cousins qu’il disputait, son citronnier qu’il vénérait, ses copains de classe qu’il n’a jamais oubliés, et même le terrifiant chien Rex qu’il défiait, sont singulièrement touchants.
Avec ce nouveau recueil, Mehdi Messaoudi poursuit son chemin littéraire en abordant à chaque fois des thématiques aussi radicalement différentes les unes des autres.
Bio-express :
Né à Oran, Mehdi Messaoudi se lança dans l’écriture en 2017 avec la nouvelle Au milieu du champ de lavande. Il publia par la suite deux romans : Pétri d’amertume (2018) et De l’autre côté (2021).
Extrait :
Nassima
J’avais à peine cinq ans lorsque ma mère me déposa pour la première fois à l’école maternelle. Ce jour-là, je portais une veste beige, un polo rouge et vert à col de jean, un pantalon en toile marron et une paire de mocassins de la même couleur.
Je pleurnichais comme un chérubin qui croyait être abandonné par celle qui l’aimait le plus au monde. Mes camarades semblaient avoir aisément franchi l’étape de la première journée depuis déjà quelque temps. Certains s’amusaient vraiment et je ne comprenais pas comment ils le purent.
La maîtresse ainsi que ceux qui devinrent plus tard mes copains tentèrent de me réconforter en me parlant ou en me chantant des comptines. J’ignore pourquoi je les regardais comme des ennemis, alors qu’ils fournissaient d’appréciables efforts pour que je me sente bien. Je m’étais inconsciemment acculé dans un petit coin tel un animal blessé, menacé par des prédateurs. Je ne souhaitais rien entendre, et il n’y avait rien à comprendre. Tout ce que je voulais, c’était revoir ma maman, et je refusais catégoriquement d’être initié à ce qui fut sans le moindre doute ma toute première expérience sociale.
J’eus pour ainsi dire d’énormes difficultés à couper le cordon qui me reliait à ma mère. Aussi, je gardais une forme d’animosité envers elle, et j’avais même prévu de la bouder pour m’avoir abandonné sans ressentir de peine.
J’avais intérêt à très vite m’habituer à cette réalité. À partir de l’année prochaine, je serais inscrit à l’école et des journées semblables à celle-ci allaient être mon lot quotidien. Autant commencer à se fondre dans la masse et à s’inculquer l’esprit du savoir-vivre ensemble.
Au bout de quelques minutes, je dus m’extraire de mon petit refuge. Je fis connaissance avec Amine, Kouider, Rabie et Mokhtar, et je pus parler plus sereinement à mon institutrice.
Mais à la fin de la journée, quand je devais mettre ma veste avant de sortir pour rejoindre ma mère, un problème de taille se posa à moi. Je n’avais jamais réussi à me vêtir correctement sans son aide et je n’osais pas demander celle de la maîtresse. Je ne voulais surtout pas qu’une chose pareille ne se sache, après que je m’étais conduit comme un grossier fils à maman pleurnichard, il était très important pour moi de pouvoir glaner quelques bons points auprès de tout le monde.
Ainsi, je pris la prudente décision d’attendre la sortie de tous mes camarades. J’en étais, hélas, sans cesse au même point, en dépit de mes multiples tentatives, quand je m’étais aperçu que je n’étais pas seul dans la classe, surpris par la présence d’une fille juste derrière moi.
Mes souvenirs d’elle demeurent toujours aussi lumineux. Elle était blonde à la chevelure de platine, et ses yeux bleus d’une pâleur extraordinaire étaient semblables aux glaciers de Patagonie. Tout ce qu’elle portait n’était que blancheur immaculée, excepté son serre-tête de couleur rose bonbon. Je restais figé à l’égard de cette beauté et de cette innocence qui éveillait en moi un sentiment mêlant mélancolie et émerveillement. Je ne pus rien dire, et sans le souhaiter, mes regards n’osaient pas se poser sur autant de splendeur. Jamais je n’avais rencontré un être à l’apparence aussi angélique durant ma juvénile existence. Pareille à un être céleste, elle brisa la glace de mon interminable mutisme : « Tu veux que je t’aide ? » me dit-elle.
Je pris une poignée de secondes avant de lui répondre, obnubilé par le doux son de sa voix. Elle s’approcha de quelques pas, jusqu’à me faire face, saisit calmement la veste que je tenais encore entre mes mains et me demanda ensuite de me retourner et m’aida à la mettre. Je m’étais aussitôt mis devant elle pour la regarder une deuxième fois, car quelque chose d’étrange en moi me l’exigeait. Je n’arrivais pas à croire qu’elle existait vraiment. Je voulais trouver le courage de chasser mon insistante timidité afin de lui parler et de me rendre compte qu’elle n’était pas le fruit de mon imagination.
Elle s’appelait Nassima, et elle avait une mère qui l’attendait dehors tout comme la mienne, languissant au volant de sa Honda. Nous sortîmes chacun de son côté. Je pus oublier mon chagrin matinal, mon asociabilité, ma rancœur envers ma maman et je rentrais à la maison avec une humeur allègre, arborant un sourire qui reliait mes deux oreilles, pensant exclusivement à elle, cet être pur qui n’était pour moi que perfection. Nassima !
Personne, encore moins ma maman, ne pouvait parier sur mon subit enthousiasme à l’idée de retourner le lendemain à la maternelle. Ce changement inexpliqué la poussa à s’enquérir auprès de la maîtresse sur mon comportement paradoxal, et cela autant que pouvait lui permettre son emploi du temps. Les réponses qu’elle obtenait étaient du genre : « Il s’habitue vite ! », « Il a une très importante volonté d’apprendre. », ou encore : « Votre fils est très sociable, et toujours souriant. »
Bien entendu, ces éclaircissements ne purent satisfaire la curiosité grandissante de ma mère ; elle ne croyait pas du tout aux versions rapportées au sujet de ma métamorphose. Il fallait comprendre sa réaction, dans la mesure où je faisais constamment la tête à la maison, loin d’être l’archétype de l’enfant jovial et épanoui. Maman me voyait comme l’éternel rêveur qui se détachait fréquemment de son environnement. Mon caractère soupe au lait et mon problème à m’entendre avec les gamins de mon âge étaient des choses qu’elle ne pouvait facilement ignorer, d’autant plus que j’avais déjà flanqué mon poing sur la petite gueule de mon cousin Amir, lorsque j’avais passé mes dernières vacances à Tlemcen chez ma tante Rekaya. Il était donc difficile de s’adapter à l’idée que je paraisse transformé ainsi, devenant le copain de tout le monde et le chouchou de la maîtresse.
Chaque journée à la maternelle fut pour moi une véritable bénédiction. Je m’empressais d’y aller, en courant. J’apprenais l’alphabet pour arriver à lire et à écrire, à calculer avec les khouchaybat ou kouraïssat et je m’exerçais à accomplir une multitude de travaux manuels avec de la pâte à modeler, du papier canson, de la colle à papier, des ciseaux… Et lorsqu’il me restait une poignée de minutes avant la sortie des classes, je demeurais assis auprès de Nassima, sans que personne ne m’en empêche. On bavardait très peu, et je m’en accommodais parfaitement. Je ne désirais point gâcher les secondes qui s’écoulaient avec de la parlote inutile. Elle me soutenait à remettre ma veste ou mon blouson à l’heure où sonnait la fin des classes, même si depuis je réussissais à le faire sans l’assistance de quiconque. Je préférais ne rien lui dire, par peur de ne plus pouvoir partager ces sensibles instants avec cet ange descendu des cieux, craignant qu’il s’envole vers d’autres pour les aider à mieux supporter leurs contrariétés.
Cela reste extrêmement délicat de ne pas s’habituer aux choses, aux évènements et aux gens lorsque l’on aime quelqu’un, car oui, je pense que je l’aimais, même si je n’avais peut-être pas encore l’âge pour comprendre ce qui était en train de m’arriver.
Et puis un jour, puis quelques autres jours, Nassima ne revenait plus à l’école. J’ai demandé à mon institutrice la raison de son absence subite, elle me répondit qu’elle et sa famille étaient parties, qu’ils avaient déménagé. J’avais envie de la traiter de menteuse et lui crier haut et fort qu’elle finirait par retourner auprès de nous et rester à mes côtés, dès lors que j’avais besoin d’elle, mais Nassima ne revint jamais. Elle s’en alla, sans m’avoir dit adieu. J’avais beau courir dans la cour, l’appeler et la chercher dans chaque recoin, elle n’y était plus. Je savais en mon for intérieur que je ne la reverrais plus, que c’était terminé.
L’Univers pouvait se moquer ou me faire porter l’accoutrement et le nez rouge d’un clown ; ils pouvaient tous rôtir en enfer, tant qu’à faire ! J’avais du chagrin, et plus personne n’oserait prétendre que je n’étais qu’un gosse incapable de comprendre cela.
Au bout du compte, j’étais redevenu moi-même, le rêveur, le taciturne, le colérique, et cela pour le déplaisir de la terre entière, mais qu’importe. Je m’en moquais du monde entier, du moment où ma Nassima n’y était plus.
Editeur |
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