Nedjma est le roman majeur dans l’œuvre de Kateb Yacine, publié en 1956. Il raconte l’histoire de quatre jeunes tous descendants d’une tribu ancestrale, amoureux de Nedjma, fille d’un keblout (chef de la tribu) et d’une Française. On retrouve des excursions dans l’histoire, la politique, l’ethnographie, des panoramas des villes et de la nature algérienne. Nedjma, un prénom, une femme, une étoile, et bien plus…
Kateb Yacine a montré au monde, à travers Nedjma, l’histoire d’un pays dans toute sa difficulté d’être. Cette Algérie où la douleur était reine. L’honneur national foulé aux pieds et la dignité humaine humiliée, telles étaient ses sources. L’anesthésie spirituelle est impuissante à changer les choses. Seule une résistance personnelle incessante, une opposition intérieure permanente à l’oppression peut aider l’homme écrasé à se retrouver lui-même. Ce thème est précisément au centre de Nedjma.
Ce roman phare de la littérature algérienne contient des monologues intérieurs débordant d’émotion. Des panoramas des villes et de la nature algériennes pleins de poésie et imprégnés du rythme de la vie. Des excursions dans l’histoire, la politique, l’ethnographie. Des images de la vie quotidienne. Des souvenirs d’enfance. Des voix du passé
Nedjma, qu’est-ce donc ?
Un prénom, une femme, une étoile.. qu’est-ce donc réellement Nedjma ? La confession d’un jeune Algérien qui a reçu une éducation française ? L’histoire de la lutte inégale entre la tribu montagnarde des Kebloutes et les expéditions punitives de l’armée coloniale ? La description d’un amour douloureux de quatre amis pour Nedjma, incarnation de la féminité et d’une vitalité débordante ? Une narration des premiers pas de la résistance nationale algérienne ?
Nedjma, c’est aussi une forme qui se profile, qui est à la fois la femme, le pays, l’hombre où se débattent les personnages principaux du roman
Kateb Yacine
Nedjma (« étoile », prénom mythique pour Kateb Yacine , la cousine dont il tomba éperdument amoureux) est une femme fascinante, complexe, fatale, libre, hybride, ambivalente, fusionnelle, prototype de la femme sensuelle, celle qui unit et désunit, métaphore de l’Algérie tourmentée, composite, terre d’affrontement et de solidarité , pays en recherche d’identité, en voie de libération.
Un roman d’identité
Nedjma compte plusieurs protagonistes, mais l’intrigue tourne principalement autour de 5 personnes : Mustapha, Lakhdar, Mourad, Rachid, et Nedjma. Les quatre hommes vont, au fil du roman, découvrir qu’ils sont liés par leur origine : ils sont tous descendants d’une tribu algérienne ancestrale : les Kebloutis. Nedjma, elle, est la femme dont ils sont tous amoureux. Elle aussi descendante de Keblout (chef de la tribu), elle représente finalement le délicat passage entre une Algérie « ancienne » et l’Algérie colonisée : elle est née de la liaison d’un Keblout et d’une Française. Figure absolue du désir pour les personnages, elle n’en reste pas moins insaisissable : elle est mariée. Toute l’ambivalence des personnage se comprend dans le comportement qu’ils ont avec Nedjma : même s’ils la désirent, ils ne peuvent l’approcher pour autant.
Leur identité est également mise en cause : leur tribu ancestrale, au temps du récit, est pratiquement éteinte, d’autant plus que l’Algérie est en plein mouvement. En se raccrochant à Nedjma, le symbole même de cette identité qui s’étiole, ils essayent de se comprendre eux-mêmes. De même, les personnages sont tous plus ou moins des vagabonds : la marche est un élément très important dans le récit de Kateb Yacine. En choisissant des vagabonds, il montre la crise identitaire que peut traverser son peuple. Nedjma, en arabe, signifie l’étoile. Ses cinq branches sont finalement les 5 personnages, à la fois réunis et profondément éloignés.
Kateb Yacine, l’écrivain patriote
Poète, prosateur, dramaturge, patriote, ennemi juré du colonialisme dès son plus jeune âge au lycée de Sétif, l’écrivain a su montrer à travers ses œuvres la pénible complexité du processus de la décolonisation, les drames qui se jouaient non seulement à découvert dans les luttes sociales mais aussi et surtout dans la vie des individus. Kateb Yacine avait pleinement conscience du lien entre les destins personnels et le destin d’un peuple dans son ensemble, ce qui ne l’empêchait pas d’apprécier ce qu’il y avait d’unique chez chaque personne.
Nedjma, c’est aussi un parcours vers la liberté
On trouve tout ceci dans le roman. Mais l’essentiel, c’est le chemin suivi par ses héros vers la liberté. Non pas en solitaires mais tous ensembles. Ce n’est nullement par hasard que Kateb Yacine passe à un rythme soutenu de la marche créé par des phrases courtes quand il dépeint une des scènes essentielles de Nedjma, la manifestation de 8 mai 1945 à Sétif, à laquelle participent les jeunes Mustapha et Lakhdar qui chantent : “De nos montagnes s’élève la voix des hommes libres.”
Et c’est cette voix qui constitue le thème principal de ce roman polyphonique. « Rien n’entame l’épaisse colère de l’opprimé », dit Kateb Yacine. Il ne craint pas de montrer tous les écueils auxquels se heurtent ses personnages avant que leurs caractères n’acquièrent la maturité exigée par la lutte de libération : leur instabilité, leur impulsion, leur soumission aux traditions et à leurs propres instincts.
C’est en pénétrant au cœur même des angoisses, des souffrances, des passions et des espoirs de Rachid et Lakhdar, Mourad et Mustapha que nous apprenons à mieux comprendre.