Culture et impérialisme – Edward Saïd

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Dans Culture et impérialisme, Edward Said sonde des chefs-d’œuvre de la tradition occidentale et montre comment quelques-unes des productions culturelles les plus vénérées – y compris Mansfield Park de Jane Austen, Heart of Darkness de Joseph Conrad, Aida de Giuseppe Verdi, et L’Etranger d’Albert Camus – font appel aux mêmes énergies qui entrent dans la construction des empires. Il éclaire brillamment la manière dont la culture et la politique ont coopéré, sciemment et incons-ciemment, pour produire un système de domination qui a contribué, plus que les canons et les sol-dats, à construire une souveraineté qui s’étendait sur les formes, les images et l’imaginaire aussi bien des dominants que des dominés. Cet essai retrace également le développement d’une « souche oppo-sitionnel » qui a identifié et exposé les mécanismes de contrôle et de répression. Travaillant essen-tiellement dans les langues de leurs maîtres coloniaux, des écrivains autochtones comme William Butler Yeats, Aimé Césaire, Frantz Fanon, Kateb Yacine, et Chinua Achebe ont participé au pro-cessus de décolonisation en réclamant le droit pour leurs peuples à l’autodétermination de l’histoire et de la culture.
Enfin ce livre passionné et immensément documenté montre comment, aujourd’hui encore, l’héritage impérial imprègne les relations entre l’Occident et le monde anciennement colonisé à chaque niveau de la pratique politique, idéologique et sociale. Sa vision révèle néanmoins un vrai espoir : l’Occident et les peuples anciennement « assujettis » peuvent atteindre une cohabitation harmonieuse. Au-delà des nationalismes de division, Edward Said montre le chemin vers une prise de conscience que la véritable communauté humaine est mondiale.

« De nos jours, pour l’essentiel, le colonialisme direct a pris fin. L’impérialisme, nous le verrons, perdure là où il a toujours existé, dans une sorte de sphère culturelle générale et dans des pratiques politiques, idéologiques, économiques et sociales spécifiques. »
Edward W. Said.

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Description

Résumé :

Dans Culture et impérialisme, Edward Said sonde des chefs-d’œuvre de la tradition occidentale et montre comment quelques-unes des productions culturelles les plus vénérées – y compris Mansfield Park de Jane Austen, Heart of Darkness de Joseph Conrad, Aida de Giuseppe Verdi, et L’Etranger d’Albert Camus – font appel aux mêmes énergies qui entrent dans la construction des empires. Il éclaire brillamment la manière dont la culture et la politique ont coopéré, sciemment et incons-ciemment, pour produire un système de domination qui a contribué, plus que les canons et les sol-dats, à construire une souveraineté qui s’étendait sur les formes, les images et l’imaginaire aussi bien des dominants que des dominés. Cet essai retrace également le développement d’une « souche oppo-sitionnel » qui a identifié et exposé les mécanismes de contrôle et de répression. Travaillant essen-tiellement dans les langues de leurs maîtres coloniaux, des écrivains autochtones comme William Butler Yeats, Aimé Césaire, Frantz Fanon, Kateb Yacine, et Chinua Achebe ont participé au pro-cessus de décolonisation en réclamant le droit pour leurs peuples à l’autodétermination de l’histoire et de la culture.
Enfin ce livre passionné et immensément documenté montre comment, aujourd’hui encore, l’héritage impérial imprègne les relations entre l’Occident et le monde anciennement colonisé à chaque niveau de la pratique politique, idéologique et sociale. Sa vision révèle néanmoins un vrai espoir : l’Occident et les peuples anciennement « assujettis » peuvent atteindre une cohabitation harmonieuse. Au-delà des nationalismes de division, Edward Said montre le chemin vers une prise de conscience que la véritable communauté humaine est mondiale.

« De nos jours, pour l’essentiel, le colonialisme direct a pris fin. L’impérialisme, nous le verrons, perdure là où il a toujours existé, dans une sorte de sphère culturelle générale et dans des pratiques politiques, idéologiques, économiques et sociales spécifiques. »
Edward W. Said.

Bio-express :

Edward W. Said est né à Jérusalem en 1935 et mort en septembre 2003 à New York après une lutte de dix ans contre la leucémie. L’Orientalisme, son ouvrage le plus célèbre, est considéré comme un des textes fondateurs des études postcoloniales. Son attitude existentielle est un hymne à la Culture, aux cultures sous toutes leurs formes. Il avait créé, avec son ami argentino-israélien, Daniel Barenbïm, le West-Eastern Divan Orchestra, composé de jeunes musiciens arabes, juifs et européens. Initiative qu’ils considéraient tous deux comme une « arme de construction massive »…

Extrait :

Introduction

Environ cinq ans après la publication de L’Orientalisme, en 1978, j’ai commencé à rassembler, sur la rela-tion globale entre la culture et l’impérialisme, quelques idées qui s’étaient éclaircies pour moi pendant que j’écrivais ce livre. J’en ai d’abord fait une série de cours dans diverses universités, aux États-Unis, au Canada et en Angleterre, de 1985 à 1988 : ils constituent le noyau du présent ouvrage, auquel je n’ai cessé de travailler depuis. Les arguments que j’avais avancés dans L’Orientalisme ont été développés par bon nombre de recherches d’anthropologie, d’histoire ou d’études régionales. J’ai donc tenté, moi aussi, d’élargir la perspective de ce livre où je ne traitais que du Proche-Orient, pour dessiner une topographie générale des rapports entre l’Occident moderne et ses territoires d’outre-mer.
Qu’ai-je ajouté à ma base documentaire ? Des écrits européens sur l’Afrique, l’Inde, certaines régions d’Extrême-Orient, l’Australie et les Caraïbes. Les textes « africanistes » et « indianistes », comme on dit, sont à mes yeux une composante de l’effort global de l’Europe pour dominer des terres et des peuples lointains. Ils me paraissent donc tout à fait liés aux évocations « orientalistes » du monde islamique, et à la façon très spéciale qu’a l’Europe métropolitaine de représenter les Antilles, l’Irlande ou l’Asie orien-tale. Ce qui frappe à la lecture de ces textes ? L’éternel retour de certaines figures de rhétorique, comme l’« Orient mystérieux ». Les clichés sur la « mentalité africaine » (ou indienne, ou irlandaise, ou ja-maïcaine, ou chinoise). L’idée de la « civilisation » qu’on apporte à des peuples primitifs ou barbares. Et la fréquence embarrassante des propos sur le fouet, la mise à mort ou les longues peines qui s’imposaient quand « ils » se conduisaient mal ou tenaient tête. Parce qu’« ils » ne comprenaient que la force. « Ils » n’étaient pas comme « nous », et méritaient donc d’être dominés. Mais, dans la quasi-totalité du monde non européen, le fait est que l’arrivée de l’homme blanc a suscité une résistance.
C’est cela que je n’avais pas abordé dans L’Orientalisme — cette réaction à la domination occidentale, dont l’apogée a été le gigantesque mouvement de décolonisation dans tout le tiers monde. Outre la lutte armée, menée en des lieux aussi différents que l’Algérie, l’Irlande et l’Indonésie du XIXe siècle, il y a eu à peu près partout de considérables efforts de résistance culturelle, l’affirmation d’identités nationales et, sur le plan politique, la création d’associations et de partis dont le but commun était l’autodétermination et l’indépendance. Jamais la « rencontre impériale » n’a confronté un Occidental plein d’allant à un indigène hébété ou inerte : il y a toujours eu une forme quelconque de résistance ac-tive, et, dans l’immense majorité des cas, elle a fini par l’emporter.
C’est à ces deux courants qui l’irriguent — la culture impériale étendue au monde entier et l’expérience historique de la résistance à l’empire — que ce livre doit de ne pas être une simple suite à L’Orientalisme. Sa visée est différente. Dans les deux ouvrages, je privilégie ce que j’appelle la « culture ». C’est un terme bien général, mais je lui donne ici deux sens précis. Premièrement, il désigne toutes les pratiques — tels les arts de la description, de la communication et de la représentation — qui jouissent d’une certaine autonomie par rapport à l’économique, au social et au politique, et revêtent souvent des formes esthé-tiques dont l’une des finalités essentielles est le plaisir. J’y inclus, bien entendu, tant le savoir populaire sur les pays lointains que les discours spécialisés de disciplines érudites comme l’ethnographie, l’historiographie, la philologie, la sociologie et l’histoire littéraire. Puisque ce livre porte exclusivement sur les empires occidentaux modernes des XIXe et XXe siècles, j’y suis surtout attentif à une forme cul-turelle : le roman.
J’estime que ce genre littéraire a joué un rôle immense dans la constitution des attitudes, des références et des expériences impériales. Non que seul le roman ait compté, mais je vois en lui l’objet esthétique dont le lien aux sociétés expansionnistes britannique et française est particulièrement intéressant à étu-dier. Le prototype du roman réaliste moderne est Robinson Crusoé : s’il campe un Européen qui se taille une lointaine seigneurie sur une île non européenne, ce n’est sûrement pas par hasard.
La fiction narrative a fait l’objet, ces derniers temps, de quantité d’études critiques, où l’on s’est fort peu soucié de sa place dans l’histoire et le monde de l’empire. Le lecteur découvrira vite que le récit est es-sentiel à mon argumentation. Pour une raison simple : au cœur de ce que disent explorateurs et roman-ciers sur les étranges contrées du monde, il y a des histoires, et c’est aussi par des histoires que les peuples colonisés allaient affirmer leur identité et l’existence de leur passé. Dans l’impérialisme, l’enjeu suprême de l’affrontement est évidemment la terre ; mais, quand il s’est agi de savoir à qui elle apparte-nait, qui avait le droit de s’y installer et d’y travailler, qui l’entretenait, qui l’a reconquise et qui aujourd’hui prépare son avenir, ces problèmes ont été transposés, débattus et même un instant tranché dans le récit. Comme l’a suggéré un auteur, les nations elles-mêmes sont des narrations. Le pouvoir de raconter ou d’empêcher d’autres récits de prendre forme et d’apparaître est de la plus haute importance pour la cul-ture comme pour l’impérialisme, et constitue l’un des grands liens entre les deux. Pour aller à l’essentiel : les grands récits d’émancipation et de lumière ont mobilisé les colonisés, qui se sont levés et ont secoué le joug impérial ; au cours de ces événements, beaucoup d’Européens et d’Américains ont été émus par ces histoires et leurs protagonistes, et eux aussi se sont battus pour de nouveaux récits d’égalité et de fra-ternité humaine.
Le second sens du mot « culture » s’instaure presque imperceptiblement. Par certaines connotations : le raffinement, l’élévation. C’est la réserve, dans chaque société, du « meilleur qui ait été su et pensé », disait Matthew Arnold a dans les années 1860. Arnold était persuadé que, si elle ne peut les neutraliser entiè-rement, la culture atténue considérablement les ravages de la vie moderne, urbaine, agressive, mercan-tile et abrutissante. On lit Dante ou Shakespeare pour s’élever au niveau du meilleur… et aussi pour se voir soi-même, son peuple, sa société, sa tradition, sous le meilleur jour. Et voilà comment la culture en vient à être associée, sur un ton souvent belliqueux, à la nation, ou à l’État. Elle est ce qui fait la diffé-rence entre « eux » et « nous », presque toujours avec quelque xénophobie. Prise en ce sens, la culture est une source d’identité, et en plus prompte à en découdre. Les récents « retours » à la tradition le mon-trent assez : on connaît la rigidité de leurs codes intellectuels et moraux, leur hostilité à la permissivité induite par des philosophies plus tolérantes, comme le multiculturalisme et le métissage culturel. Dans le monde ex-colonisé, ces « retours à la culture » ont engendré divers fondamentalismes religieux et na-tionalistes.
Dans cette seconde acception, la culture est une sorte de théâtre où diverses causes politiques et idéolo-giques s’apostrophent. Loin d’être un monde apollinien d’harmonieuse sérénité, elle peut se muer en champ clos où ces causes vont s’afficher tout à fait clairement et se battre. On verra alors sans ambi-guïté ce qu’on attend des étudiants américains, français ou indiens à qui l’on apprend à lire leurs clas-siques avant ceux des autres : qu’ils aiment leur pays et leur tradition, qu’ils en soient membres avec la plus grande loyauté, et souvent le plus petit esprit critique, tout en dénigrant ou combattant le reste. Cette idée de la culture ne conduit pas seulement à vénérer la sienne, mais aussi à la croire totalement séparée des réalités quotidiennes, puisqu’elle les transcende. La plupart des humanistes de métier sont donc incapables de faire le lien entre l’infâme cruauté de l’esclavage, de l’oppression colonialiste et ra-ciste ou de la domination impériale, et la poésie, la littérature, la philosophie de la société qui se livre à ces ignominies pendant des siècles. C’est l’une des pénibles vérités que j’ai découvertes en écrivant ce livre : combien, parmi les artistes britanniques ou français que j’admire, il s’en est peu trouvé pour s’insurger contre l’idée de races « sujettes » ou « inférieures », si universelle chez les administrateurs, qui l’appliquaient comme une évidence quand ils gouvernaient l’Inde ou l’Algérie. C’était une notion large-ment admise, qui a contribué à stimuler la conquête impérialiste en Afrique tout au long du XIXe siècle. Quand ils étudient Carlyle ou Ruskin, et c’est même vrai pour Dickens et Thackeray, les critiques litté-raires, j’en suis persuadé, situent à un tout autre niveau que celui de la culture les idées de ces auteurs sur l’expansion coloniale, les races inférieures et les « nègres » : la culture, c’est la haute sphère à laquelle ils appartiennent « vraiment », et où ils ont accompli leur œuvre « réellement » importante.
Ainsi conçue, la culture peut aisément devenir une forteresse protectrice : avant d’entrer, laissez vos idées politiques au vestiaire ! Moi qui ai passé toute ma vie à enseigner la littérature, mais qui ai aussi grandi dans le monde colonial d’avant la Seconde Guerre mondiale, j’ai eu à cœur de ne pas la voir ainsi — c’est-à-dire dans une sorte de quarantaine antiseptique, toute amarre coupée avec le monde réel — mais comme un champ d’efforts humains d’une extraordinaire diversité. Si j’analyse ici certains romans et autres ouvrages, c’est d’abord parce que j’y vois des œuvres d’art et de savoir admirables auxquelles, comme tant d’autres lecteurs, je prends plaisir et dont nous tirons tous profit. Mon défi, c’est de les mettre en relation non seulement avec ce plaisir et ce profit, mais aussi avec la dynamique impériale dont ils faisaient ouvertement partie. Au lieu de condamner ou d’ignorer leur participation à ce qui, dans leur société, était une réalité incontestée, mieux vaut étudier cette face cachée : ce que nous en ap-prenons enrichit vraiment, à mon sens, notre façon de les lire et de les comprendre.
J’aimerais préciser ma pensée en évoquant deux grands romans bien connus. De grandes espérances de Charles Dickens (1861) et Nostromo de Joseph Conrad (1904). Le roman de Dickens a pour thème pre-mier l’illusion sur soi-même, les vains efforts de Pip pour devenir un gentleman sans la base requise : un travail acharné ou une source aristocratique de revenus. Dans sa jeunesse, il a aidé ce qu’on appelait un convict —un condamné à la déportation en Australie—, AbelMagwitch. Celui-ci s’acquitte plus tard de sa dette en lui adressant de grosses sommes. Comme l’avocat qui les lui remet ne dit mot de l’origine de cet argent, Pip se persuade que Miss Havisham, une vieille aristocrate, est sa bienfaitrice. Mais voici que Magwitch réapparaît à Londres, clandestinement. Pip lui fait d’abord mauvais accueil, car une désa-gréable odeur de délinquance plane autour de cet homme, puis il se réconcilie avec lui. Il finit par re-connaître en Magwitch — traqué, arrêté, atteint d’une maladie mortelle — son père adoptif, ne le renie pas, ne le rejette pas, bien qu’il soit par définition inacceptable puisqu’il vient d’Australie, colonie péni-tentiaire conçue pour réhabiliter les criminels anglais déportés mais pas pour les rapatrier.
La plupart des lectures de cette œuvre remarquable, pour ne pas dire toutes, la situent sans hésitation dans le cadre de l’histoire littéraire de la Grande-Bretagne. J’estime qu’elle appartient à une histoire à la fois plus vaste et plus dynamique. Deux livres plus récents que celui de Dickens, l’étude magistrale de Robert Hughes La Rive maudite et le brillant roman de Paul Carter The Road to Botany Bay b, ont révélé un immense passé de spéculation sur l’Australie et d’expérience concrète de ce pays, « colonie blanche » comme l’Irlande. Nous pouvons y insérer Magwitch et Dickens, non comme figurants purement fortuits mais comme acteurs, en prenant appui sur le roman et sur une réalité bien plus ancienne et bien plus large : les rapports entre l’Angleterre et ses territoires d’outre-mer.
Si l’Australie a été érigée en colonie pénitentiaire à la fin du XVIIIe siècle, c’était surtout pour que l’Angleterre pût y déporter une population de criminels jugée superflue, irrécupérable et indésirable. La terre découverte par le capitaine Cook devait aussi servir de colonie, pour remplacer celles que l’Angleterre avait perdues en Amérique. L’Australie moderne est née de cette conjonction : la soif du profit, la logique des bâtisseurs d’empire et ce que Hughes nomme l’apartheid social. A l’époque où Dick-ens commença à s’y intéresser, dans les années 1840 (Wilkins Micawber, dans David Copperfield, est heu-reux d’émigrer là-bas), le pays était devenu un peu plus rentable, et s’y était instauré une sorte de « sys-tème parallèle » : les travailleurs manuels pouvaient s’enrichir en se mettant à leur compte si on les autorisait à le faire. En la personne de Magwitch, Dickens allie ainsi divers aspects de la perception an-glaise des convicts australiens à la fin de la période de déportation. S’ils avaient le droit de réussir, rentrer en Angleterre, en revanche, leur était formellement interdit. Ils pouvaient expier leurs crimes, mais ce qu’ils enduraient aux antipodes faisait d’eux des exclus à jamais.

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