Les portes du poème – hommage à Habib Tengour
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« Le Maghrébin est toujours ailleurs. Et c’est là qu’il se réalise » H. T. (Manifeste du surréalisme maghrébin,1981)
Les vingt-sept contributions ici rassemblées et superbement illustrées par Hamid Tibouchi – études critiques et textes de création – rendent hommage à une œuvre de premier plan dans les lettres algériennes et plus largement contemporaines, mais paradoxalement encore méconnue.
Ce volume entend, à l’occasion du soixantième-quinzième anniversaire du poète Habib Tengour, inaugurer de nouvelles pistes de recherche quant à cette œuvre et permettre une plus juste appréhension de ses enjeux. Les hommages des pairs – poètes du monde entier – donnent à l’ouvrage une dimension affective, charnelle, et prolongent les analyses des chercheurs en ménageant des échos inattendus.
« N’entre dans le poème que celui animé d’une intention droite ! », nous a avertis Tengour. Les portes du poème s’entrouvrent ainsi sur une des voix poétiques les plus importantes de sa génération (prix Dante en 2016 et Benjamin Fondane en 2022 pour l’ensemble de son œuvre).
Résumé :
« Le Maghrébin est toujours ailleurs. Et c’est là qu’il se réalise » H. T. (Manifeste du surréalisme maghrébin,1981)
Les vingt-sept contributions ici rassemblées et superbement illustrées par Hamid Tibouchi – études critiques et textes de création – rendent hommage à une œuvre de premier plan dans les lettres algériennes et plus largement contemporaines, mais paradoxalement encore méconnue.
Ce volume entend, à l’occasion du soixantième-quinzième anniversaire du poète Habib Tengour, inaugurer de nouvelles pistes de recherche quant à cette œuvre et permettre une plus juste appréhension de ses enjeux. Les hommages des pairs – poètes du monde entier – donnent à l’ouvrage une dimension affective, charnelle, et prolongent les analyses des chercheurs en ménageant des échos inattendus.
« N’entre dans le poème que celui animé d’une intention droite ! », nous a avertis Tengour. Les portes du poème s’entrouvrent ainsi sur une des voix poétiques les plus importantes de sa génération (prix Dante en 2016 et Benjamin Fondane en 2022 pour l’ensemble de son œuvre).
Bio-express :
Regina Keil-Sagawe (Université de Heidelberg) est traductrice et chercheuse. Elle a traduit en allemand de nombreux auteurs maghrébins dont Habib Tengour, mais aussi Mohammed Dib et Driss Chraïbi, entre autres.
Hervé Sanson, enseignant-chercheur (ITEM-CNRS), est spécialiste des littératures francophones du Maghreb. Ses auteurs de prédilection se nomment Habib Tengour, Mohammed Dib, Albert Memmi et Assia Djebar.
Hamid Tibouchi est peintre et poète. Sa production plastique est protéiforme : peintures, dessins, gravures, estampes numériques, photos, livres d’artistes, livres-objets, décors de théâtre, vitraux, illustrations de livres et revues.
Extrait :
Hervé Sanson (ITEM-CNRS)
Le réel et le poétique chez Habib Tengour
« Une question me tient à cœur : la restitution du réel par la littérature, notamment la poésie. Le texte poétique n’est pas discours scientifique sur les phénomènes sociaux, il n’en demeure pas moins un angle essentiel pour la compréhension des choses. » (Tengour, Dans le soulèvement)
« J’essaie de naviguer à vue dans un réel débridé, délesté jusqu’à totale explosion de la réalité. »
(Sanson/Tengour, La Trace et l’écho)
Certes, l’anthropologie est la branche des sciences qui étudie l’être humain sous tous ses aspects, à la fois physiques et culturels. Mais elle est aussi si l’on décompose le terme – anthrôpos, « homme », au sens générique, et logos, parole, discours – une parole sur l’homme, une parole d’homme, une parole humaine. Et la poésie, accent mis sur l’excellence de la forme primant sur le contenu, jeu de sonorités tâchant de trouver « l’essence de l’énonciation originelle : l’évidence » (2012 a : 111), est entreprise d’affirmation de l’individu, de sa singularité. De la tribu au sujet, de l’individu au collectif : Habib Tengour, tout à la fois anthropologue et poète, oscille entre ces deux pôles. Les poètes, ainsi que le rappelle Tengour avec force, « tentent d’arracher des livres au temps pour s’inscrire au présent dans l’éternité. » (id. : 113) Et ce faisant, sont subversifs, car ils s’écartent des mots de la tribu et des décrets divins. Dès lors, comment concilier le sujet et la tribu ? Comment s’opère le partage dans l’œuvre entre l’autorité du sujet-créateur et l’injonction de la tribu ? Comment faire le lien, faire suture entre le réel à déchiffrer et le poétique qui est autre façon d’entrevoir le réel ? Quelques titres nous permettront de cerner ce jeu du réel et du poétique, leur interaction, dans la trajectoire de l’écrivain.
Retraite et Beaufraisier : du réel au poème au réel
Le projet qui aboutit à la publication du livre Retraite signé par Habib Tengour et le photographe Olivier de Sépibus en 2004 est explicité dans les entretiens La Trace et l’écho de la façon suivante 1 :
Ce projet avait été monté par Olivier de Sépibus dans le cadre d’une association qui se trouvait dans le Panier, et qui travaillait sur les questions de mémoire, mémoire migrante… Il y avait énormément de projets qui tournaient autour de la mémoire à Marseille. Olivier cherchait un écrivain avec qui travailler ; il ne voulait pas d’un texte didactique ou académique, sociologique ou anthropologique, mais plutôt une collaboration entre deux artistes, un photographe et un écrivain. (…) Il était tombé par hasard sur Gens de Mosta, le livre lui a plu et il a pris contact avec moi. (…) Une fois le contrat clair, je passais deux mois à Marseille, j’habitais l’hôtel Henni, à Belzunce ; ce sont des hôtels à huit euros la nuit ; je mangeais dans les petits restaus à côté, trois euros le repas – comme eux, en fait. Il y avait le café en face ; le périmètre était un petit périmètre dans lequel je vivais ; quand j’allais très loin, j’allais au Vieux Port ou je montais à Noailles, l’autre marché… C’était avoir la vie de ces personnes, les observer, vivre avec eux, vivre comme eux, et puis essayer de faire le texte. (2012 b : 163-164)
Olivier de Sépibus souhaitait un écrivain, certes ; mais c’est aussi un anthropologue de formation qu’il a convié à réaliser ce projet. La méthode appliquée dans le cadre de cette expérience correspond à ce que les anthropologues nomment : l’observation participante. Elle consiste à étudier une société autre en partageant son mode de vie, en se faisant accepter par ses membres et en participant à ses rituels et pratiques sociales. Alain Touraine la définit comme la « compréhension de l’autre dans le partage d’une condition commune ». Et c’est précisément la méthode revendiquée par les deux hommes. Voici ce qu’en dit Tengour :
(…) Olivier travaillait depuis deux ans sur le quartier pour lier connaissance avec les gens, pour avoir leur sympathie. Moi je n’avais que deux mois, mais je suis Algérien comme les gens qui étaient là, je suis anthropologue de formation et j’avais enquêté dans des foyers de vieux migrants, je peux donc très vite entrer dans le terrain. Sur place avec Olivier on vivait avec eux ; je voyais comment il réagissait, lui voyait comment je réagissais. On s’était mis d’accord tous les deux qu’on n’était pas là pour contester un ordre social, que de toute façon ce n’était pas notre propos, que ces vieux migrants n’étaient pas des victimes qu’on allait aider, on n’était pas des travailleurs sociaux, ni des militants associatifs. C’étaient des gens comme tous les autres et on partageait un moment avec eux. Dès le départ on était d’accord sur un point : pas de pathos, ni dans les photos, ni dans les textes. L’angle du regard qu’on portait était un angle en sympathie, mais il pouvait ne pas l’être. On était là nous-mêmes dans une situation particulière, dans un processus d’interactions, dans une relation à essayer de tirer quelque chose de cette relation. (id. : 164-165)
Il convient de noter que cette « observation participante » induit ici un observateur qui fait partie du milieu culturel investi (bien que Tengour n’ait pas vécu lui-même l’existence des chibani) alors que la méthode de l’observation participante dans son acception rigoureuse exclurait en théorie de faire partie de la société observée et induirait chez l’observateur une volonté de se fondre et renoncer à la primauté de ses propres schèmes culturels. Il s’agirait ici d’une observation participante dite « interne » ou bien encore « complète ». En tant qu’Algérien, l’entrée de Tengour dans le milieu observé lui est déjà facilitée. Ce qui ressort clairement de cette méthode a trait à l’absence de pathos revendiquée par Tengour : l’observation participante, laquelle s’accompagne de son corollaire, l’objectivation, sous-tend la mise à distance de tout affect. La sympathie avec le groupe observé s’inscrit bien dans la démarche de l’observation participante, tout comme les phénomènes d’interaction entre l’observateur et le groupe induits par l’entrée du chercheur sur le terrain. Dès lors, la volonté affichée de s’inscrire contre tout débord des affects rencontre le travail poétique même de Tengour qui vise à mettre à mal la tradition du lyrisme poétique, « une mise à distance du lyrisme », souligne le poète (2012 b : 160).
Ainsi le texte de Retraite va-t-il rejoindre un certain caractère prosaïque. Ainsi que l’explicite Tengour dans La Trace et l’écho : « Même quand il n’y a que de l’écriture apparemment poétique, sous forme de vers, le vers est cassé ; c’est-à-dire que cela va être une écriture en vers mais ce qui est dedans est de la prose. Particulièrement dans les textes de témoignage : plus la situation est violente, plus la phrase va se faire liminaire, brute, brutale, ce qui correspond à la dureté de la situation. » (id. : 135-136) Ainsi de l’expérience des vieux migrants que le poète choisit de retranscrire sur le mode direct, en insérant dans le poème leurs propos, se limitant à en orchestrer simplement sur la page la partition. A faire le partage des voix. A en ordonner le rythme, c’est-à-dire le mouvement périodique calqué sur la répétition d’une structure donnée.
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