Camarade Papa – Gauz
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« Pour l’Enfer colonial, Camarade papa a raison et demi : aucun diable, juste la chaleur. »
Gauz
Une histoire de la colonisation comme on ne l’a jamais lue.
- Un jeune homme, Dabilly, fuit la France et une carrière toute tracée à l’usine pour tenter l’aventure coloniale en Afrique. Dans une « Côte de l’Ivoire » désertée par l’armée française, quelques dirigeants de maisons de commerce négocient avec les tribus pour faire fructifier les échanges et établir de nouveaux comptoirs. Sur les pas de Dabilly, on découvre une terre presque inexplorée, ses légendes, ses pactes et ses rituels…
Un siècle plus tard, à Amsterdam, un gamin d’origine africaine raconte le monde postcolonial avec le vocabulaire de ses parents communistes. Lorsque ceux-ci l’envoient retrouver sa grand-mère et ses racines en Afrique, il croise les traces et les archives de son ancêtre.
Ces deux regards, celui du blanc sur l’Afrique et celui du noir sur l’Europe, offrent une histoire de la colonisation comme on ne l’a jamais lue. Gauz fait vivre des personnages tout en contrastes, à la lumière solaire, dans une fresque ethnologique pétrie de tendresse et d’humour.
Résumé :
« Pour l’Enfer colonial, Camarade papa a raison et demi : aucun diable, juste la chaleur. »
Gauz
Une histoire de la colonisation comme on ne l’a jamais lue.
- Un jeune homme, Dabilly, fuit la France et une carrière toute tracée à l’usine pour tenter l’aventure coloniale en Afrique. Dans une « Côte de l’Ivoire » désertée par l’armée française, quelques dirigeants de maisons de commerce négocient avec les tribus pour faire fructifier les échanges et établir de nouveaux comptoirs. Sur les pas de Dabilly, on découvre une terre presque inexplorée, ses légendes, ses pactes et ses rituels…
Un siècle plus tard, à Amsterdam, un gamin d’origine africaine raconte le monde postcolonial avec le vocabulaire de ses parents communistes. Lorsque ceux-ci l’envoient retrouver sa grand-mère et ses racines en Afrique, il croise les traces et les archives de son ancêtre.
Ces deux regards, celui du blanc sur l’Afrique et celui du noir sur l’Europe, offrent une histoire de la colonisation comme on ne l’a jamais lue. Gauz fait vivre des personnages tout en contrastes, à la lumière solaire, dans une fresque ethnologique pétrie de tendresse et d’humour.
Bio-express :
Diplômé en biochimie, Gauz a réalisé des photos, des documentaires, des émissions culturelles et des articles pour un journal économique satirique en Côte-d’Ivoire. Depuis son premier roman, Debout Payé (2014), qui l’a propulsé sur le devant de la scène, il part de plus en plus souvent se recueillir à Grand-Bassam, première capitale coloniale de la Côte d’Ivoire, où démarre le présent roman. Camarade papa a reçu la prix Ivoire (2018), et le Prix Éthiophile (2019).
Extrait :
NOTULE
La présence française en Côte d’Ivoire remonte au XVIIe siècle, mais s’intensifie avec la création de nombreux comptoirs. Obstacle à la mainmise des Anglais sur le golfe de Guinée, elle suscite des tensions entre les deux nations. Lorsque les forces françaises sont rapatriées à Sedan après la débâcle de 1870, quelques maisons de commerce se retrouvent seules gardiennes du drapeau face aux Anglais et aux tribus. Leurs établissements se limitent à une étroite bande de terre littorale : la carte du pays est quasiment vierge.
Un négociant rochelais, Arthur Verdier, Résident de France à la « Côte de l’Ivoire » de 1871 à 1889, ambitionne d’en faire une concession privée. Son premier commis, Marcel Treich-Laplène, dirige des missions d’exploration en signant des traités avec les chefs locaux. Mais c’est un militaire, Louis-Gustave Binger, qui, après avoir rallié Dakar (Sénégal) à Kong (extrême Nord de la Côte d’Ivoire), emportera le prestige d’avoir fixé les frontières du pays et sera nommé premier gouverneur. La colonie est officiellement créée le 10 mars 1893. La même année, les établissements Verdier de Grand-Bassam sont détruits par un raz-de-marée, coïncidant ironiquement avec cette réécriture de l’Histoire.
LA PLAGE
Sept rouleaux de brisants, crête aux vents, écument de rage en se frappant la tête sur la plage. À l’instant où la première vague s’étale en auréole sur la dorure du sable, une autre au large s’enroule et gronde aussi fort que ses devancières. Leur cycle de vie est court. Quand la dépouille de la première se retire, la deuxième est déjà prête à s’écraser. Le cumul de ces deux vagues contraires se fracasse avant de faire demi-tour vers le large. Quatre poussent dans son dos, deux battent en retraite dans son ventre, alors la troisième grossit, grandit, mugit plus fort. La lame de crête – ils l’appellent la « mère » – s’élève au-dessus de toutes les autres.
L’arithmétique de la vague est immuable. Les premiers marins blancs l’ont appelée la « Barre de Guinée ». Elle prend naissance au-dessus du Puits-du-diable, une faille abyssale née des contractions de l’écorce terrestre en gestation. Risqué de s’approcher, impossible d’accoster. Aucun homme n’est venu peupler ces contrées par voie de mer. Les mouillages ne sont sécurisés qu’au-delà de mètres. Hommes et marchandises ne quittent les navires pour la terre ferme que dans de solides canots, des baleinières pagayées par les deux seuls peuples au monde qui savent défier la barre : les Apoloniens et les Kroumens.
En créant la barre, la nature s’est chargée de mettre un brin d’équilibre dans les rapports entre blancs et noirs. Un bâtiment en panne, en péril, ou tout simplement mouillé au large, s’il veut commercer avec les indigènes, se signale en hissant un pavillon de couleur. Blanc pour les « Franssy », à cause de leur goût pour les défenses d’ivoire. Rouge pour les « Inglissy », grands vendeurs de poudre et de fusils. Noir pour les « Portuguessy », trafiquants invétérés de « bois d’ébène », esclaves expédiés aux confins du monde connu. Mais quelle que soit sa nationalité, le capitaine doit faire « le Signe ». Il descend dans une chaloupe, met le pied sur un rebord, plonge tout en se tenant à la préceinte l’index et le majeur dans l’eau de mer, et les porte à ses yeux : « Plutôt devenir aveugle que de trahir ma parole donnée. » La boutique est ouverte. Les pirogues à l’abordage !
Chaque mois, un paquebot de la Compagnie des Chargeurs Réunis (Société Anonyme, siège social I, boulevard Malesherbes Paris 8e) quitte le port du Havre en direction de nos possessions de Cochinchine, en passant par le cap de Bonne-Espérance. Après de brèves escales aux mamelles négrières de la France, La Rochelle et Bordeaux, il sautille par petits arcs de cercle de ports en comptoirs coloniaux le long du gros nez de l’Ouest africain. Les Canaries, Saint-Louis, Dakar, Conakry, Monroevia, Palms Cape, Béréby, Lahou puis Grand-Bassam. Longer les côtes en courtes étapes est un héritage de l’époque de la voile, où l’on imaginait que les forts vents du ponant menaient aux contreforts de l’enfer. Commis, douaniers, clercs, administrateurs, soldatesque…, tout ce qui est affecté à un poste colonial arrive par un bateau des « Chargeurs ». Bassam est atteinte en seize jours. Toute la plage sait alors que derrière la barre va poindre un bateau expirant vapeur et fumée noire au-dessus de la ligne d’horizon.
Sur la rive, une douzaine de fonctionnaires et représentants des factoreries. La quasi-totalité de la population blanche. Chacun est flanqué d’un boy dont la mission du moment est de réparer une injustice physiologique. Contre le soleil, la mélanine pour le noir ; pour le blanc, l’ombrelle tenue par le boy. Sont aussi présents porteurs mandés-dyoulas, tirailleurs sénégalais, groupes d’Aboureys, rebelles akapless. Des pagayeurs apoloniens prolongent odieusement leur nuit, allongés sous les ombres étoilées des rameaux de cocotiers phototropes aux longs cous tirés vers les vagues. Les Kroumens, encore plus flegmatiques que leurs rivaux, sont à peine visibles alentour. L’ethnologie de Grand-Bassam est complète.
Ce matin du 5 septembre 1893, la plage est bondée plus que de coutume. Les corps et les esprits sont tendus par un enjeu nouveau. Depuis quelques mois, cette côte est française, et avec elle tout ce qui vit et gît jusqu’au 10e parallèle, plus de six cents kilomètres au nord.
C’est officiel, le Capitaine Ménard envoie aujourd’hui son premier gouverneur à la Côte-d’Ivoire. On sait depuis quelques années que dans ce pays les fouets et les balles peuvent soumettre, mais que seuls les symboles conquièrent. Parmi eux, l’entrée de scène est d’importance. Nous l’avons préparée. Nous ne répéterons pas les erreurs de l’Histoire. Aujourd’hui, la barre sera avec nous.
Sur le flanc bâbord, le premier esquif à se dandiner au rythme des flots est apolonien. Un treuil descend quelques caisses emmaillotées dans un filet. Lorsqu’arrive la pirogue kroumen, apparaît un homme blanc, immaculé du casque aux bottillons. Il est descendu dans la baleinière. Il se tient debout. De la plage, on a l’illusion d’un homme marchant sur les flots. L’index et le majeur dans l’eau, puis portés à ses yeux. Le signe est inusité depuis longtemps mais tout le monde le reconnaît. Les Kroumens élancent la baleinière tout en entonnant un refrain jamais entendu. Le vent porte à la plage les quatre mesures du mystérieux chant. « Ablééééé véno sioooon… » La foule se met à hurler. Les tirailleurs reconnaissent, se dressent et courent, Chassepot à l’épaule, s’aligner sur deux rangs. « Ablééééé véno sioooon, ablééééé véno sioooon… » La dernière mesure de La Marseillaise, paroles et accent kroumen, ad libitum.
La baleinière porte bien son nom anglais surfboat. Elle glisse sur la « mère ». Les sept pagaies sont brandies au ciel, l’homme blanc est debout, drapeau tricolore à bout de bras, face altière, menton haut. En quelques manœuvres du barreur, la baleinière s’immobilise face à l’allée de tirailleurs. Clameurs et vivats. Ancien capitaine d’infanterie, ancien explorateur de la boucle du Niger, nommé premier gouverneur de la Côte d’Ivoire, Louis-Gustave Binger débarque à Grand-Bassam. Voilà comment revient la France officielle dans sa colonie.
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